Accueil > Travaux et études > Réception de l’œuvre de Philippe Ariès > Une brève Histoire de l’adolescence

Une brève Histoire de l’adolescence

David Le Breton, JC Béhar, 2013

dimanche 14 avril 2013, par Guillaume Gros


  Une brève histoire de l’adolescence , JC Béhar, 2013, 138 p.
Professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, membre de l’Institut Universitaire de France, co-directeur avec Daniel Marcelli d’un Dictionnaire de l’adolescence et de la jeunesse (PUF, Quadrige), David le Breton propose une histoire de cette période incertaine de la vie, dans nos société, qu’est l’adolescence.

Une période intermédiaire

« L’adolescence n’est pas un fait, mais d’abord une question qui traverse le temps et l’espace des sociétés humaines. Certaines sont soucieuses de démarquer les classes d’âge et les responsabilités qui leur sont liées. Elles définissent une période intermédiaire entre l’enfance et la maturité sociale, de manière précise ou diffuse selon les situations. Elles octroient alors un statut spécifique aux jeunes en matière de sexualité ou d’engagement dans leur communauté. »

Découpée en neuf moments, 1. Les Grandissants, 2. Rites d’initiation, 3. Adolescences au fil du temps, 4. Émancipation, 5. Adolescences liquides, 6. Vertiges familiaux, 7. Consumérismes, 8. La voie du risque, 9. Transmettre, cette brève histoire de l’adolescence, balaye toutes les questions sans tabou avec beaucoup de pertinence. L’auteur, en 138 pages, inscrit sa démarche dans une perspective historique et dans les traces de l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime de Philippe Ariès qu’il cite à plusieurs reprises.

Le 18e siècle invente l’enfance : sur les traces de P. Ariès

 Comme l’explique David le Breton, dès son premier chapitre, l’adolescence a une histoire qui s’inscrit dans nos sociétés dans les milieux bourgeois à cause d’un changement d’affectivité dans les familles au cours du 18e siècle qui coïncide avec l’invention de l’enfance. Une mutation que renforce la scolarisation obligatoire et le souci de faire réussir l’enfant.

« Longtemps encore, au Moyen-Age et en-deçà, nos sociétés reconnaissent mal l’enfance, et encore moins l’adolescence. Hormis le bref moment où son dénuement physique impose la tutelle de ses proches, l’enfant est mêlé aux adultes et participe à la mesure de ses forces aux jeux de sa communauté ou aux travaux des champs et devient ensuite apprenti chez un artisan ou un domestique. Adulte en attente, seule sa condition physique l’empêche de prendre sa place dans les rangs à part entière. La transmission s’effectue surtout à travers l’apprentissage en accompagnant la tâche des aînés ou en les regardant faire. Dans les familles aisées, l’enfant de l’attention maternelle à la tutelle des précepteurs ou des gouvernantes. » ["Adolescences, au fil du temps", p. 26]

La scolarisation, la mise à l’écart : la quarantaine

 L’invention de l’adolescence au 18e siècle accompagne l’invention de la famille moderne dans la foulée de sa prise de conscience avec la publication de l’ Émile ou le portrait du jeune Werther. David le Breton insiste sur l’une des thèses de P. Ariès selon laquelle c’est l’obligation scolaire qui cristallise l’adolescence quand elle retarde l’entrée dans la vie active. Le sociologue inscrit d’ailleurs son propos dans l’idée d’une scolarisation qui serait une mise à l’écart, une « quarantaine », thèse sur laquelle Philippe Ariès rejoignait Michel Foucault. Et l’auteur d’une Brève histoire de l’adolescence de citer ce passage de l’ Enfant et la vie familiale  :

« On admet désormais que l’enfant n’est pas mûr pour la vie, qu’il lui faut se soumettre à un régime spécial, à une quarantaine, avant de le laisser rejoindre les adultes. »

D’hier à aujourd’hui : résumé du livre

 Si l’école met l’adolescent à l’écart, dans une situation matérielle de dépendance, dans le même temps, elle l’émancipe en le soustrayant à la dure loi du travail. Prenant conscience de sa singularité et bien que portée d’abord par une minorité d’une classe d’âge, l’adolescence inquiète quand apparaissent les premiers signes d’une instabilité liée à sa situation de dépendance. La psychologie s’empare d’un mal être qui n’a pas de frontières et qui s’exprime dans quelques figures célèbres de la littérature dont Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier (1913) ou plus près de nous Françoise Sagan dans Bonjour Tristesse.

Bon connaisseur des rites initiatiques chez les jeunes, David Le Breton, montre comment leurs conduites à risque sont consubstantielles de l’affirmation d’une identité multiple qui emprunte toutes les voies possibles de la musique à la littérature en passant par la drogue ou plutôt les drogues et toute une culture de la défonce :
« La drogue envahit la pop music et devient un phénomène touchant une part de la jeunesse occidentale. Elle est chantée par Beatles, les Rolling Stones, Bob Dylan, Jim Morrisson, etc.. Les entrées de toxicomanes dans les hôpitaux explosent en France autour des années 1967-1968 », ["Émancipation"p. 61]

Comment s’affirmer ?

 La naissance d’une culture commune et la démocratisation de l’enseignement secondaire transforment les adolescents en un groupe social qui peut, à l’occasion, se politiser. Mais pour autant, ce temps de l’adolescence est de plus en plus flou tant les limites entre jeunes adultes nostalgiques de l’adolescence et jeunes adolescents transgressant les frontières vers un monde adulte qui ne leur fait pas vraiment de place sont parfois difficiles à fixer. Et ce alors qu’il n’existe plus véritablement de rites initiatiques sanctionnant le passage d’un état à l’autre comme au temps du certificat d’étude ou du service militaire.

 Alors dans un milieu où la famille n’assure pas toujours les repères nécessaires si ce n’est une hyper affectivité et dans un contexte consumériste qui fascine, l’adolescent recherche une confrontation dans le groupe, parmi ses pairs, via le look : « Le foyer de l’estime de soi se déplace vers le regard des autres les plus proches, non plus les parents dont l’amour est acquis, mais celui, impitoyable et toujours remis en question, des pairs, dont le jugement s’énonce selon le degré de coïncidence ou non à des modèles ambiants et provisoires. » ["Consumérismes", p. 90]

[…]

« Le look devient une forme première de socialisation. Exister, c’est être remarqué, c’est-à-dire marqué et démarqué. La tentation d’exister en tant qu’image, porteur de signes valorisés, est difficile à repousser car il en va de son statut au sein du groupe. »

Adieu à l’enfance

 Dans ce monde où la famille nucléaire a souvent plus une vocation affective qu’autoritaire et dans laquelle, on l’a dit, les rites initiatiques sont en extinction, certains jeunes qui ne s’accomplissent pas dans les institutions scolaires ou sportives peuvent parfois développer des conduites à risques, « une série de comportements mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger ». Ces conduites réelles mais qui ne doivent pas être exagérées peuvent constituer une étape dans la construction de l’identité.

« Même si la condition humaine demeure toujours dans l’inachevé, et donc sous une forme d’adolescens, le passage vers l’autre rive traduit l’adieu à l’enfance, et le fait d’être désormais auteur de son existence. Lors de cet entre-deux mondes qui prélude à l’âge d’homme ou de femme, le jeune est simultanément à la recherche de l’autonomie mais sans vouloir se couper de la tutelle de son entourage, il expérimente pour le meilleur et pour le pire son statut de sujet, la frontière entre le dehors et le dedans, joue avec les interdits sociaux, teste sa place au sein d’un monde où il ne se reconnaît pas encore tout à fait. »

Dans un style précis qui évite tout pathos ou verbiage, David le Breton, réussit dans les pas de Philippe Ariès, « une approche inattendue de l’adolescence dans une perspective historique » pour reprendre les termes de la 4e de couverture.

Une riche bibliographie

Mêlant historiens, sociologues, anthropologues, psychologues, le livre de David le Breton comporte une bibliographie assez exhaustive de 6 pages où l’on trouve outre Philippe Ariès, Maurice Crubellier, François Dubet, E. Erikson, M. Foucault, Marcel Gauchet, D. Jeffrey, M. Mauss, M. Mead, E. Morin, Michelle Perrot, Antoine Prost, A. Schnapp, G. Steiner, A. Thiercé, A. Van Gennep ou Jean-Pierre Vernant.